Comme beaucoup de personnes sur les incontournables réseaux sociaux, j'ai été assez ému de la manière dont les médias traitaient l'élection du travailliste Sadiq Khan au poste de maire de Londres, ce jeudi 6 mai.
Si BFM TV a atteint le comble du pire en titrant « Le musulman Sadiq Khan favori pour l'élection du maire de Londres », beaucoup de médias s'en sont tenues à cette description, reléguant bien souvent son appartenance partisane en deuxième position.
À leur décharge, évacuer cette question n'était pas aisée tant le candidat en a fait un argument de sa campagne. Il indique dans ses discours que l'islam est une partie de son identité. Quand son opposant Zac Goldsmith dénonce le fait qu'il soit musulman (donc qu'il aurait des liens avec Daesh ...), Khan rétorque via Twitter « Oui, je suis musulman, c'est inscrit sur mes tracts ». Cela étant, on sait bien que les médias français en auraient quand même fait des caisses avec la confession de M. Khan, qu'il la revendique ou non.
Pourquoi Khan alors revendique tant sa religion et pourquoi les médias lui emboîtent le pas sans se poser de réelles questions ? Parce que c'est le seul réel moyen de distinguer Sadiq Khan de son adversaire conservateur (qui, selon M6, est juif, ce qui semble moins impressionnant quand on visionnait le reportage du 12:45 ce jeudi 6 mai).
Une fois que l'on a opposé les personnalités de Khan (musulman, fils d'un immigré pakistanais chauffeur de bus, ayant vécu dans un quartier populaire et étudié dans le public) et Goldsmith (juif, fils de milliardaire, ayant vécu dans un quartier huppé et étudié dans le privé), que reste-t-il à analyser ? Rien ou presque.
Les deux candidats, par-delà leurs étiquettes, ont conscience des problèmes de Londres (une ville trop chère et engorgée) et proposent des solutions globalement identiques pour y répondre (la construction de nouveaux logements à prix abordables, le gel des tarifs et le développement des transports en commun) et sont de grands défenseurs de la City. Sadiq Khan est un travailliste modéré, pas blairiste mais certainement pas corbyniste. Tant lui que son adversaire envisageaient une gestion pragmatique, destinée à résoudre techniquement les problèmes qui se posent à Londres.
Quand en 2015 Manuela Carmena et Ada Colau ont pris la direction des plus grandes villes de l'Espagne, les médias ont présenté cela comme un changement politique majeur, notamment du fait d'une véritable différence idéologique entre ces listes citoyennes, les socialistes et les conservateurs. À Londres, rien de tel, les deux candidats ont des programmes si proches que c'est sur la personnalité que l'analyse et l'élection se joue.
Cette disparition des frontières idéologiques entre deux candidats ne peut en rien justifier le traitement médiatique de cette élection, mais elle explique pourquoi personne (pas même les candidats, en définitive) ne s'est intéressé au fond politique : parce qu'il n'y en a plus vraiment.